« Sur une base volontaire ». Dans les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin, l’expression est clairement précisée au sujet de la création de « centres contrôlés » pour traiter l’arrivée de migrants. Elle est répétée à propos de la répartition ensuite des exilés entre États de l’Union. Ce sont les gouvernements les plus hostiles à accueillir tant ces centres que leurs hôtes, qui ont insisté pour que cette « base volontaire » soit une condition explicite. Cette « base » est donc on ne peut plus précaire puisque soumise au bon vouloir des gouvernements. Elle vacillera au gré des sondages d’opinion, de l’approche d’échéances électorales, des jeux internes aux coalitions et autres déterminants court-termistes de la volonté politique.

La construction européenne est fondamentalement affaire de « bonne volonté ». C’est ce qui la distingue historiquement des empires. Les Vingt-Huit ont adhéré, chacun, au projet d’Europe unie « sur une base volontaire », si l’on peut dire. Mais ce choix souverain dès lors oblige. Y compris sur le droit d’asile. Les États membres de l’UE sont engagés par la convention de Genève sur les réfugiés de 1951. Le droit d’asile est aussi inscrit dans la Charte européenne des droits fondamentaux devenue, depuis 2009, aussi contraignante que les traités européens. Aucun dirigeant européen ne peut s’en laver les mains.

Alors que l’Autriche, où l’extrême-droite participe à la coalition au pouvoir, vient de prendre la présidence du Conseil de l’UE ce semestre, le risque est que s’érige un « axe des volontés dans la lutte contre l’immigration illégale » contraire au droit et aux obligations européennes. De cette expression lancée le mois dernier par le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, visant Munich-Vienne-Rome, c’est d’abord la résurgence du mot « axe » qui a fait froid dans le dos. Mais celui de « volontés » devrait aussi nous mettre en garde car, potentiellement, il s’agit de faire fi de toute obligation antérieurement souscrite.

L’heure n’est donc plus à la mollesse. Ces dernières années, l’intégration européenne a trop souvent manqué de volonté politique ferme de la part de dirigeants au contraire négligents sur ce terrain. Emmanuel Macron cherche aujourd’hui à réaffermir une détermination qui s’était essoufflée. L’entrée au Panthéon le 1er juillet de Simone Veil au nom, notamment, de son indéfectible engagement pour l’Europe, sert à contrer « les vents mauvais » que le chef de l’État a dénoncé dans son discours, reprenant une métaphore qu’il avait déjà employée à Berlin en avril dernier.

Ces vents, soufflant d’Autriche, d’Italie, de Bavière, des pays de Visegrad (Hongrie, Slovaquie, Pologne, Tchéquie) ou encore de Slovénie, s’emploient à détourner l’Union européenne de ses valeurs fondatrices et des obligations qui en découlent. À l’image des ports italiens désormais fermés aux navires des ONG ou de la loi adoptée par le parlement hongrois, le 20 juin, rendant passible de poursuites pénales l’aide aux migrants opérée par des ONG. Les « volontés » n’ont pas de limites.

« L’axe » ainsi animé par l’extrême-droite, ou la droite radicale, n’a pas pour objectif de sortir de l’UE, à l’instar d’un Brexit déjà jugé comme un échec, mais de la remodeler à sa manière. Quitte à faire retourner les pères fondateurs de la construction européenne dans leur tombe. Les élections européennes dans un an s’annoncent comme un âpre combat, sur fond de crise migratoire, entre des volontés foncièrement opposées et des vents contraires. Aux forces pro-européennes de garder le cap.

Sébastien Maillard - Directeur de l'Institut Jacques Delors